Le protagoniste du roman a vécu avec sa mère, mais sans parvenir à la connaitre. Il en ignorait l'âge. S'avançant dans les années, et gagnant la sagesse et le silence des vieillards, il l'a jetée dans l'asile, son rôle est fini là, elle n'avait rien à lui dire et ne devenait qu'une charge pesante pour une âme purement matérialiste. Mais il a été illusoire en croyant que le silence est un non-langage, par contre il vaut mieux que la parole et traduit ce que ne peut traduire cette dernière. Lors de la seule visite qu'il a eue durant tous les mois de sa prison, il a remarqué qu'un jeune Arabe et sa vieille mère sont restés silencieux tous le temps. Ils ne se disaient rien mais se regardaient fixement, alors que les prisonniers et leurs visiteurs parlaient à haute voix autour d'eux. Insensibles à ce brouhaha, ils continuaient leur dialogue silencieux, profitant de la courte durée de la visite pour faire un échange d'émotion inaccessible pour les âmes aveugles comme la sienne.
Les considérations matérialistes sont donc prioritaires chez notre héros, et tant qu'il n'a pas eu d'argent et que sa mère a été usée et n'a eu rien à lui dire, l'asile semble être une solution tout à fait légitime. Il a même jugé qu'elle était heureuse là-bas. Mais la vérité est toute à fait contraire. Elle, et selon le témoignage du directeur de l'asile, lui a toujours reproché cet acte et a souvent pleuré, surtout qu'il ne lui a rendu que rarement des visites. C'étaient un surcharge de plus tant qu'elles lui prenaient le dimanche. Il a voulu se réjouir de sa vie sans aucun engagement envers celle qui lui a donné la vie. C'est également pourquoi il ne dissimule guère le souhait de la voir morte.
Meursault a eu son vœux, sa mère a été enfin morte, mais est-il absolument libéré de ses engagements envers elle? Pas encore. Une nouvelle fois, elle se tient obstacle devant ses projets. Il doit veiller à son enterrement. Elle dérange ses projets vivante et morte. «Ce n'est pas de ma faute[1]» disait-il souvent, ce n'est pas de sa faute que sa mère est morte, que sa vie va se modifier un peu pour accomplir un devoir purement humain, l'enterrement de sa mère, c'est de la faute de la morte elle-même. Elle ne devait pas mourir, ou, plutôt, ne devait pas être sa mère. Maintenait, il lui attend un fardeau à faire, la scène de l'enterrement, et il va l'accomplir avec tout le calme du monde. Il a fumé, dormi et bu du café au lait «devant le corps de celle qui lui avait donné le jour[2].» Et sans pleurer ni éprouver aucune affection, il est allé l'ensevelir sous la terre, et est partit aussitôt l'enterrement fini, sans se recueillir sur sa tombe, comme un prisonnier récemment libéré. Il s'est enfuit avec sa vie suffisamment reportée et dérangée, pour aller s'en réjouir, le lendemain même. Mission accomplie, et il est actuellement libre de tout engagement même moral. Il est allé sur la plage prendre des bains, a établi une relation avec une femme et ils se sont rendus au cinéma pour se divertir, en regardant un film comique. La vie ne doit s'arrêter avec la perte d'une mère.
Sa mère avait vécu et était partie en silence. Mais son mal comportement avec elle ne pourrait passer ainsi. Il serait jugé pour son insensibilité envers sa maman que pour le crime, l'assassinat de l'Arabe. Ne l'avait-il pas vraiment tué par négligence et par méconnaissance? Il est hors de doute qu'il songe à sa mort pour s'en débarrasser, comme il est fort probable qu'il mettrait fin à sa vie si celle-ci s'allongerait au-delà de cela. Il n'est guère contre l'assassinat des proches. C'était son avis dans l'affaire du Tchèque tué par sa mère et sa sœur pour son argent. D'ailleurs, il est en vogue l'assassinat des parents. L'affaire qui suit la sienne dans le tribunal est celle d'un parricide. C'est une gradation remarquable, on ne se contente de les , mais on les tue. Et notre héros a tué sa maman, sinon physiquement, il l'a assassinée moralement. Et c'est ce qui prépare les actes du meurtre réel de l'Arabe. C'était la conclusion du procureur qui s'écriait:« j'accuse cet homme d'avoir enterré une mère avec un cœur d'un criminel[3].»
Cette scène traduit toute la vérité, l'Occident, dépourvu de son humanité, commet un crime contre l'humanité, une guerre illégitime, celle contre Palestine.
[1] Ibidem, p.9
[2] Ibidem, p.91
[3] Ibidem, p.96